« Comment valoriser les médicaments de demain en France et en Europe ? »
Mercredi 4 janvier 2017 au Sir Winston
Nicolas Bouzou, économiste et directeur du cabinet de conseil Asterès, nous a fait l’honneur et le plaisir d’intervenir à ce café nile sur le thème « Comment valoriser les médicaments de demain en France et en Europe ? ».
Intervention |
Aujourd’hui, tout le monde doit pouvoir accéder rapidement à l’innovation. La question première est donc celle du prix des médicaments innovants. Historiquement, trois phases se succédaient dans le développement de ces médicaments : celle d’une innovation dangereuse d’abord, puis coûteuse et moins dangereuse, et enfin, plus récemment, moins dangereuse et moins coûteuse. Il faut donc se demander comment nous pouvons atteindre une innovation accessible et fiable. Pourquoi l’innovation en santé coûte-t-elle si cher ? Cette cherté est liée au business model de l’industrie pharmaceutique qui pendant très longtemps a gagné de l’argent en vendant des médicaments efficaces pour des pathologies simples et dont un grand nombre de patients souffrait. Après avoir épuisé ce business model, l’industrie pharmaceutique s’est vue obligée de passer à un autre business model qui consiste aujourd’hui à vendre des médicaments à des patients moins nombreux et aux pathologies plus complexes. Par conséquent les prix sont plus élevés, avec le coût de la recherche et du développement et le fait que les entreprises ont une capacité moindre à amortir ces médicaments sur un marché très large. C’est le cas pour l’immunothérapie par exemple, avec des thérapies chères et des pathologies très diverses.
Il est fréquent d’entendre l’argument selon lequel les prix élevés sont liés aux profits importants des entreprises pharmaceutiques. Cependant, aucune entreprise pharmaceutique n’apparaît parmi celles qui gagnent le plus d’argent dans le monde. Deuxièmement, l’industrie pharmaceutique revêt une structure microéconomique particulière : c’est une industrie de très long terme avec un taux de risque extrêmement élevé. En effet, entre la recherche sur une molécule et sa mise sur le marché, le ratio est de 1/10 000. D’autre part, entre le début de la recherche et la mise sur le marché effective, il se passe actuellement 30 ans en moyenne : les délais de mise sur le marché ont eu tendance à se rallonger. Il faut donc relativiser les clichés sur les prix des médicaments. D’ailleurs, la part des dépenses de santé est moins importante que ce que nous croyons.
La vraie augmentation des dépenses de santé n’est pas représentée par les chiffres de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (en augmentation de 2,5 % par an), puisque si nous libérions le secteur de la santé, le taux de croissance serait de 5 % par an. Il y a donc en quelque sorte un système de répression. Ce hiatus entre l’augmentation souhaitable des dépenses de santé et ce qu’un système de solidarité peut prendre en charge est donc central.
Certains préconisent le remboursement des médicaments selon leur efficacité sur les groupes de patients. Or, nous avons en France un système de santé avec une grille de prix qui ressemble à celle d’un système soviétique. Cela contribuerait à renforcer la complexité. Deuxièmement, certains économistes ont soulevé l’idée de la fin des brevets pour les médicaments, à charge pour les industriels de protéger leurs molécules. Or je pense exactement l’inverse : c’est la trop faible protection intellectuelle des médicaments qui tire les prix vers le haut. Les brevets des médicaments ont une durée limitée à 20 ans, dont 8 consacrés à leur mise sur le marché. Les industriels ne profitent donc du brevet que pendant 12 ans. Ils tirent donc les prix vers le haut pour optimiser les marges. Il faut donc rallonger la protection et la faire démarrer à partir du moment où le médicament est mis sur le marché. Troisièmement, il faut considérer la question des médicaments au sein des traités transatlantiques. Ceux-ci permettent de faire jouer la concurrence au niveau mondial, contre les protectionnismes, notamment aux États-Unis.
Par conséquent, aborder la question de la régulation du prix des médicaments innovants en se focalisant uniquement sur le prix est une erreur majeure. Un médicament qui coute un million d’euros est très cher, même si nous divisons son prix par deux. Pour les raisons évoquées précédemment, nous entrons dans une période où les prix des médicaments seront très élevés. Il s’agit d’un sujet systémique. Nous devons donc faire évoluer notre organisation générale à la fois en matière de financement et d’offre de soins vers davantage d’efficience.
Enfin, le débat sur les petits risques n’est pas la bonne porte d’entrée : le bon sujet est plutôt la solidarité et l’assurance. Nous avons une question terminologique en France qui n’aide pas à clarifier, puisque l’Assurance maladie n’est pas une assurance et parce que les complémentaires santé sont toutes des compagnies d’assurance dont seule une partie est officiellement considérée comme étant des assureurs. Il faut que l’Assurance maladie se concentre sur le domaine de la solidarité et que les complémentaires santé s’occupent de ce qui relève de l’assurance. Nous devons être capables de tarifier en fonction du risque selon un système de bonus malus. Le Royaume-Uni par exemple est très performant pour prendre en charge les petites pathologies mais délaisse les personnes à risques. Nous observons de plus en plus de Britanniques seniors partir se faire soigner en Allemagne. Prenons ce cas d’une Britannique de 50-60 ans encore active : le NHS lui ayant refusé des soins, elle est allée en Allemagne bénéficier d’une immunothérapie et est désormais en bonne santé et mène une vie normale. Il faut donc distinguer l’assurance de la solidarité, sinon l’assurance se transformera en solidarité et réciproquement.
Questions de la salle |
Yves Charpak, médecin de santé publique : Il ne faut pas ignorer les réflexions internationales. À Bruxelles se tient un observatoire de plusieurs organisations internationales dont l’ONU sur les politiques de santé et au sein duquel on réfléchit précisément à tous les aspects des systèmes de santé, y compris le prix des médicaments.
Nicolas Bouzou : Le bon niveau de réflexion n’est pas international mais européen. Il faut envisager ces questions d’accès aux médicaments de façon commune. Les pays émergents attendent beaucoup de la réflexion européenne et s’appuient en grande partie sur les actions des pays européens pour voir ce qu’eux, qui construisent leur État-providence, doivent faire. La situation est vraiment urgente. La problématique est celle de l’accès aux médicaments innovants non seulement aujourd’hui mais aussi ceux qui seront mis sur le marché dans les 10 ou 15 prochaines années.
Guy Eiferman, MSD : La question de la valeur est importante. Comment démontrer la valeur de ce qu’on propose pour éviter la révolte du patient face au prix ? D’autre part concernant le paiement selon le risque, certes c’est complexe mais faut-il vraiment avoir peur de la complexité ?
Nicolas Bouzou : Beaucoup de professionnels de santé se plaignent de la complexité. Sur la question de la valeur, elle est donnée par le prix puisque le prix est censé refléter la valeur. Dans le domaine de la santé, les prix sont fixés par les pouvoirs publics de façon soviétique. Les objectifs sont l’efficacité et l’équité. Or les prix reflètent imparfaitement la valeur, comme celui de la consultation à 23 euros pour un médecin généraliste par exemple. Aujourd’hui, nous concevons des modèles très complexes. Il existe de nouveaux critères et une valorisation de plus en plus précise, mais c’est un mouvement sans fin. Il n’y a pas de marché mais une planification par les prix. Le bon équilibre, c’est l’alliance de l’efficience et de la simplicité.
Jean-Michel Mrozowski, Comité de valorisation de l’acte officinal : Comment envisager la question de l’utilité et la centrer sur l’utilité pour le patient ? L’investissement de la sécurité sociale doit-il porter sur l’outil ou le médicament, ou sur la dépense générale et l’accompagnement ? Comment prendre en compte le coût de l’utilisateur ?
Nicolas Bouzou : En effet, il est nécessaire de prendre en compte l’utilité. En économie, l’utilité est le principal indice de valeur. La comptabilité publique est appréhendée comme de la trésorerie. Dix euros de dépenses équivalent à 10 euros de dépenses et rien d’autre, c’est objectif. Par conséquent, les pouvoirs publics ne sont pas incités à raisonner à moyen ou long terme. Il faudrait donc créer une commission qui répondrait à cette question : comment faire évoluer la comptabilité publique pour mieux prendre en compte la question de l’investissement à long terme ? En ce qui concerne le coût de l’utilisateur, les prises de médicaments poussent à produire plus. Cela contribue indirectement à alimenter la croissance économique. C’est ce que nous appelons les externalités positives. Tout le monde a par exemple intérêt à ce que le malade du cancer travaille. Il convient d’avoir une vision systématique de la santé.
Alain Perez, journaliste : En ce qui concerne le prix des médicaments, les big pharma externalisent leur recherche. Elles prennent aussi en compte des logiques boursières dans leur stratégie. L’élément majeur est donc le surcoût, à la fois pour les big pharma et les entreprises internationales de développement de médicaments. Comment prendre en compte cette double tendance ? Par ailleurs le développement des médicaments innovants est parfois très court, puisqu’en immunologie par exemple, certaines autorisations de mise sur le marché sont très rapides.
Nicolas Bouzou : Sur la rapidité de développement des médicaments, énormément de revues scientifiques parlent d’une trentaine d’années. Sur l’externalisation, c’est le développement technologique rapide qui mène à l’externalisation de la recherche. Schumpeter le disait déjà, l’innovation est une destruction créatrice. Chez les big pharma, nous observons une diminution de l’innovation car elles ont cassé leur business model. Les start-up ont moins de dépendance au sentier, donc innovent davantage. Pour les grandes entreprises dont les big pharma, le moyen le plus simple pour innover est donc d’acheter ces start-up puisque ces rachats permettent des innovations performantes. Les start-up sont chères pour plusieurs raisons mais notamment à cause de la politique monétaire : celle de la BCE avec des taux d’intérêt à 0 %. Par conséquent, la valeur des entreprises s’envole. Les big pharma sont donc contraintes d’acheter cher ces start-up. Cela est lié à la période économique que nous traversons.
Françoise Pêne, cancérologue : Si les entreprises ne font pas de bénéfices, n’est-ce pas justement à cause de cette externalisation et de ces niches ? Deuxièmement, concernant les brevets, comment éviter les copies ? Concernant le scandale Sovaldi, des patients ont par exemple menacé d’acheter en Inde 1 000 euros un traitement qui comprenait exactement la même molécule alors que Sovaldi est vendu 45 000 euros en France. D’autre part, quid du système américain qui défend le remboursement à l’efficacité et semble rencontrer un certain succès ?
Nicolas Bouzou : Le système américain est le pire système de santé des pays développés, surtout en termes d’efficacité/surcoût : 20 % du PIB est dépensé dans la santé et pourtant, on observe une baisse de l’espérance de vie. Les États-Unis ne sont donc pas un exemple à suivre. Ceci renforce ma conviction, puisqu’ils défendent le remboursement à l’efficacité, qu’il s’agit d’une mauvaise voie. En réalité la question est surtout de savoir comment faire pour que la France ne se retrouve pas dans une situation identique à celle du Royaume-Uni, dans laquelle on ne s’occupe pas des personnes âgées car elles sont trop à risque.
Alain Boulanger, ministère de l’Économie et des Finances : Comment peut-on analyser le prix des médicaments en se servant des analyses économiques traditionnelles : qu’est ce qu’un monopole, qui s’approprie la vente, que peut-on faire ? D’autre part, il ne faut pas renier la complexité. Admettre des prix différenciés selon les pathologies n’est pas forcément une mauvaise idée car le patient ne verra qu’un seul prix.
Nicolas Bouzou : Je ne suis pas contre les prix différenciés, seulement ce n’est pas la meilleure piste de réflexion. On peut certes assumer la complexité, cependant il convient de mettre le curseur au bon endroit. On connaît les avantages mais aussi les défauts de la France : quand nous nous engageons dans des mécanismes complexes, nous avons du mal à nous en sortir. Certains économistes ont beaucoup travaillé sur cette question mais elle n’a pas infusé, en France en tous cas. Nous avons besoin d’un nouvel étage dans la réflexion économique, celui du courtage. Des travaux académiques existent, mais il n’existe pas de lien direct entre les travaux académiques et les décideurs publics. Il manque donc un étage, celui du débat public. Il convient donc de construire ce nouvel étage entre la recherche académique et les pouvoirs publics.
Catherine Trenque, consultante : Comment peut-on contribuer à ce débat si nous faisons abstraction du mode de financement ?
Nicolas Bouzou : Nous n’avons pas fait abstraction de cet aspect du débat en France. Nous parlons depuis 10 ans de la TVA sociale. En ce qui concerne le financement, nous ne devons pas tout miser sur le travail. Le système social français a été financé par les salaires, mais il faut en sortir pour des raisons qui ne sont pas liées à la santé, mais au fonctionnement du marché du travail. Il faut diminuer le coût du travail. Les cotisations sociales sont un outil dépassé et ne représentent pas l’avenir, elles créent plutôt du chômage. En tout état de cause, il conviendrait de faire abstraction de cette obsession française de la question du financement et parler davantage de l’efficacité de la dépense.
Nicolas Bohuon, Pharmaceutiques : Quelle est votre opinion sur le débat entre petit et gros risque ? De quels risques s’agit-il ? De risques thérapeutiques ou de gros risques économiques par exemple ? L’arrivée des complémentaires est-elle une bonne chose pour notre économie ?
Nicolas Bouzou : Le débat entre petit risque et gros risque n’est pas la bonne manière d’aborder le problème. Les gros risques se concentrent en début et fin de vie. Si nous nous concentrons sur cette dichotomie, nous cassons la solidarité intergénérationnelle. En réalité, il vaut mieux raisonner en termes de solidarité et d’assurance. C’est plus simple et cela permet de répondre à la question : que vont faire les complémentaires santé les prochaines années ? Actuellement, la qualité de service des complémentaires est mauvaise, ce qui les rend impopulaires. Elles doivent prendre en charge un risque assurable et devenir plus que des complémentaires. Nous avons spécialisé les secteurs public et privé sur certains types de risques mais ce système de doublon génère de la complexité. Il faut donc leur donner les moyens de réguler les dépenses qu’elles assureront. La question des réseaux de soins ne doit pas être un tabou : en présence d’un financeur majoritaire, il doit exister un droit de regard sur la dépense, comme dans n’importe quel système d’assurance.